L’interview-café de Piet Hein Eek

Rencontres
Rencontres

Publié le 25 mars 2025


L’interview-café est un rendez-vous mensuel de La Gazette du Bon Marché. Et par « rendez-vous », on veut dire qu’il est à la fois digital et physique — un moment partagé en magasin, que l’on vous raconte ici. 


Fraîchement débarqué de son atelier d'Eindhoven, aux Pays-Bas, Piet Hein Eek, fondateur de la marque de design éponyme, s’est installé sous la verrière de La Table, le restaurant bistronomique de La Grande Epicerie de Paris. Humble, à l’écoute, accessible : tout de lui traduit la philosophie qu’il infuse dans son mobilier depuis 35 ans.


À l’occasion de son pop-up installé au 1er étage du Bon Marché Rive Gauche, disponible à l’espace Maison du Bon Marché Rive Gauche, La Gazette a rencontré ce passionné de design. 


©Le Bon Marché Rive Gauche

La Gazette : Si vous deviez vous remémorer votre enfance… Diriez-vous que vous êtes né artiste, ou que vous l’êtes devenu ?

 

Piet Hein Eek : Je ne sais pas si je suis né artiste, mais je suis né créatif. Petit, je passais mon temps à fabriquer des choses, à jouer avec des outils, à construire des maisons en allumettes. C’était ma façon à moi d’organiser mes idées et de communiquer avec le monde. Cela a pu m’attirer des ennuis à l’école, car j’étais très difficile à canaliser. Mais mes professeurs comme mes parents m’ont toujours soutenu. Je crois fermement que le rôle du corps enseignant est de s’adapter pour accompagner les élèves. Tous les élèves. Et pas de tordre les personnalités dites « à la marge » pour qu’elles se conforment à un moule unique. J’ai conscience aujourd’hui d’avoir eu la chance de pouvoir être qui j’étais. Ce ne serait plus le cas aujourd’hui.


— Piet Hein Eek fait glisser sous ses doigts sa tasse de café. Cette dernière est déjà vide : le Néerlandais était en avance. D’un geste lent, il ouvre les bras pour mimer un enfant qui repousse les limites.


La Gazette : On dit parfois que la créativité est un muscle que l’on doit entraîner. Souscrivez-vous à cette théorie ?

 

Piet Hein Eek : J’ai déjà lu ça et je pense que c’est vrai. Si l’on arrête de développer des projets créatifs, on la perd, cette prédisposition. Mais si on l'entraîne… alors elle se renforce de jour en jour, de projet en projet. À mes débuts, avoir une bonne idée me prenait deux semaines. Aujourd’hui, ma créativité est devenue une part indissociable de ma façon de penser. Si un problème se présente à moi, je le dessine. C’est devenu une seconde nature. Mon processus créatif est plus fluide aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été.

La Gazette : On a longtemps qualifié vos meubles comme relevant du design « industriel ». Mais aujourd’hui, vous parlez plutôt de design « pragmatique ». Que révèlent ces définitions ?

 

Piet Hein Eek : Les gens parlent de design « industriel » car ils ont besoin de classer les arts, les méthodes, les visions. Mais parler de design “pragmatique” colle mieux à ma philosophie. Pour moi, c’est un design qui prend en considération les réalités économiques et techniques de mon métier. C’est affirmer que je crée en fonction des savoir-faire et matériaux qui m’entourent. Plutôt que de dessiner une table et de chercher ensuite la façon de la produire (ce qui implique souvent de se tourner vers l’étranger), je fais l’état des lieux des outils, compétences et matériaux qui m’entourent et je dessine la table ensuite.

La Gazette : C’est génial ! Plutôt que de choisir une recette et d’aller chercher les ingrédients qu’il vous faut, vous imaginez un plat avec ce que vous avez à disposition. Cela encourage les productions ultra locales, n’est-ce-pas ?


Piet Hein Eek : Complètement, et c’est le but. Je tiens à réduire au maximum la distance entre le designer et les matériaux, entre l’objet et les acheteurs. Le tout, en tenant compte de la réalité économique actuelle. Si personne n’aime un matériau, il y a de fortes chances pour qu’il coûte moins cher qu’un matériau très demandé. Alors, je saute sur l’occasion. À moi de le changer en une création désirable.


— Animé par la discussion, Piet Hein Eek se réinstalle plus confortablement sur sa chaise avant de parler de l’équipe d’une centaine de personnes qui collabore avec lui, de l'atelier aux magasins, en passant par la galerie d'art. Des profils divers qui lui inspirent chaque jour de nouvelles créations, nourries par l’échange.

 

Piet Hein Eek : À l’atelier, nous apprenons ensemble, nous évoluons. Il m’arrive de proposer un design, et qu’on m’explique pourquoi on ne pourra pas le réaliser tel que je l’ai pensé. Nous avons alors des allers-retours passionnants sur la façon de le faire, autrement. Quitte à ce que le dessin change ! Je ne mets aucun ego là-dedans.

La Gazette : À Eindhoven, vous avez votre atelier, vos équipes, une boutique, un restaurant, un hôtel… Cet ensemble célèbre le collectif au travers d’un art de vivre. Comment conciliez-vous tout cela ?


Piet Hein Eek : Ma marque forme aujourd’hui un écosystème dont nous sommes encore en train de trouver l’équilibre. Ce n’est pas simple ! Nous avons développé ces espaces car nous voulions prendre le temps de mieux recevoir nos visiteurs, qui viennent parfois de très loin juste pour nous. Quand on a des fans (et je dis ça humblement !), on en prend soin.

 

La Gazette : Cela fait déjà dix ans que vous êtes référencé à l’espace Maison du Bon Marché Rive Gauche. Quelle relation entretenez-vous avec ce lieu si particulier ?


Piet Hein Eek : Comme pour tout, nous aimons nous investir sur le long terme. C’est une approche que je remarque chez les Français et les Italiens : les équipes misent sur vous et ne vous lâchent pas à la première déconvenue. Ce sont nos valeurs aussi !